Un nouveau type de week-ends au naturel
Par GUI QIAN

Les membres du Gratis ont organisé un atelier intitulé « 100 façons de passer un bon week-end dans une grande ville sans dépenser d’argent », pour des jeunes à Shanghai en décembre 2022. PROVIDED TO CHINA DAILY
Un groupe de jeunes citadins remet en cause la société de consommation dans le cadre d’activités pratiquées en fin de semaine sans bourse délier, selon une conception de la richesse au-delà de l’argent.
Comment passez-vous habituellement vos fins de semaine ? Pour beaucoup de gens, la réponse comportera des réunions entre amis, des sorties au cinéma ou le lèche-vitrine. Telle était autrefois la routine pour Chen Lingyi, une Shanghaienne de 27 ans. Mais il y a trois ans, fraîche diplômée de l’université et à l’aube de sa carrière, la jeune femme s’étonna, malgré ses efforts de plusieurs mois pour économiser de l’argent, de trouver son compte bancaire toujours à sec pour ainsi dire. Examinant ses habitudes de dépenses, elle s’aperçut que chaque aspect de la vie en ville semblait exiger de l’argent, et que « les week-ends de détente » étaient quasiment devenus synonymes de week-ends de « consommation ».
Cependant, les villes regorgent de ressources. Chen Lingyi se mit donc à réfléchir à d’autres moyens d’utiliser les espaces urbains au-delà de la dimension consumériste. Avec 26 amis, elle créa en mai 2022 un groupe baptisé « Les Gratis » qui lança un projet d’expérience sociale intitulé « 100 façons de passer un bon week-end dans une grande ville sans dépenser d’argent ». Les membres du groupe se surnommèrent « les poulets fermiers », s’inspirant de la volaille qui cherche sa nourriture dans la nature, vivant des restes et des déchets de la ferme ou picorant de petits insectes dans les prés. Les 27 « poulets fermiers », tous âgés d’une vingtaine d’années et provenant de divers horizons, partageaient une interrogation collective : est-ce que la main au porte-monnaie est aujourd’hui la principale méthode régissant les activités de fin de semaine ? Pourquoi les styles de vie sont-ils invariablement entremêlés à la consommation ? Comment l’espace urbain a-t-il évolué ?

Activité organisée par Chen Lingyi (centre) sur le thème « Les Gratis » le 20 mai 2023. PROVIDED TO CHINA DAILY
En distribuant des questionnaires au public, ils découvrirent de nombreuses façons surprenantes de passer un bon week-end sans dépenser d’argent, telles que la danse ou l’exercice physique sur la pelouse d’un parc, l’accueil chez soi de clubs de lecture et de séances de cinéma, la collection de pierres le long d’une rivière, l’interaction avec de petits animaux le long des routes, l’aide bénévole dans les temples, voire le rôle de cobaye pour une coupe de cheveux gratuite. « Ne pas dépenser d’argent ne veut pas dire ne rien donner. Cela nous fait plutôt réaliser que l’argent n’est pas la seule monnaie », dit Zhang Congzhi, 23 ans, étudiant post-licence à l’université de Hong Kong. Un autre membre du groupe se désignant par le pseudonyme A Ting espère que la satisfaction de ne pas dépenser d’argent ne proviendra pas de la quête excitante de « profiter » ou de « faire une affaire », mais d’une prise de conscience ainsi que de la maîtrise de ses désirs et de ses choix.
Ces considérations reposaient sur le vécu personnel, la recherche et les réflexions des membres du Gratis. Estimant qu’il y avait beaucoup à partager sur le sujet, ils produisirent collectivement un magazine intitulé Spending Time Alone Without Spending Money (dépenser son temps seul(e) sans dépenser d’argent). Ce magazine n’est pas commercialisé ; à la place, il est distribué gratuitement dans divers endroits tels que les librairies, les bibliothèques, les cafés et les lieux de travail partagés. Les membres du Gratis ont résumé en une formule leurs expériences sur la façon de passer de bons week-ends dans les grandes villes sans dépenser d’argent. Leur programme s’articule autour de quatre ressources fondamentales, toutes gratuites : les espaces urbains, les services publics, le partage des produits ou des biens et les activités créatives.
Zhang Congzhi s’est plongé à fond dans l’interaction des gens avec un environnement urbain. Il s’est aperçu que dans les villes, les espaces modernes correspondaient souvent aux attentes propres à un comportement d’acheteur, conduisant les gens à naturellement placer leur confiance dans des lieux conçus pour la consommation. En témoigne son enquête sur les toilettes publiques dans les parcs. Alors que celles-ci répondaient aux normes sanitaires, les gens préféraient utiliser les toilettes des galeries commerciales. Le jeune homme souligne l’importance d’une véritable communication et d’une interaction entre les personnes et leur environnement urbain. Il cite une expérience mémorable vécue l’été dernier lors d’une randonnée qui lui a offert un regard neuf sur sa ville natale, Rizhao, dans la province du Shandong. Deux heures et demie de marche pour rejoindre la côte la plus à l’ouest de cette cité du littoral, en partant de celle la plus à l’est, lui permirent de remarquer la façon dont deux rivières divisaient la ville et dont l’environnement des habitants variait selon les différents quartiers.
Pour Zhang Congzhi, les milieux urbains ouverts offrent non seulement des possibilités d’activités de loisirs sans dépense d’argent, mais aussi les plaisirs de l’exploration et de la contemplation. Le deuxième élément dans la liste prescriptive – les services publics – apporte encore plus d’avantages aux citadins. Par exemple, les gens peuvent facilement trouver en milieu urbain des cours abordables voire des cours du soir gratuits, ainsi que des réfectoires communautaires dans de nombreuses villes. Le groupe encourage le partage des produits, ce qui prolonge leur durée de vie et leur utilité tout en faisant faire des économies. Chen Lingyi partage régulièrement sa garde-robe avec des amies et reçoit souvent des gens pour des échanges d’articles inutilisés, de compétences et même de connaissances.
Le dernier élément, les activités créatives, met l’accent sur l’initiative humaine. La jeune femme le formule ainsi : « La moindre petite action qui dérange la routine peut être considérée comme une activité créative. Il vous suffit juste de vous faire violence, par exemple de vous joindre à une danse dans les rues ».