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La fabrication des éventails

Par ZHAO XU

Un éventail peint par l'artiste de la dynastie Ming (1368-1644) Qiu Ying, propriété du Musée du Palais à Taipei. PROVIDED TO CHINA DAILY

Un éventail peint par l'artiste de la dynastie Ming (1368-1644) Qiu Ying, propriété du Musée du Palais à Taipei. PROVIDED TO CHINA DAILY

Des maîtres artisans se consacrent à une spécialité profondément ancrée dans le psychisme national.

Près de trois décennies se sont écoulées, mais à l’âge de 57 ans, Xu Jiadong se souvient encore du jour où il a pénétré dans une forêt de bambous avec son père « pour cueillir à la main ceux qu’il utiliserait plus tard pour fabriquer les tiges d’éventails pliants ». La scène se passait au début du mois de janvier dans le comté de l’Anji de la province du Zhejiang, où un type particulier de bambou connu sous le nom de yu zhu, ou « bambou de jade », pousse en abondance. C’est là que M. Xu, qui approchait la trentaine, reçut de son père les premières leçons de son artisanat en respirant l’air froid des montagnes.

« Pour la fabrication des éventails, le bambou ne peut être ni trop jeune ni trop vieux », explique-t-il. « Il doit être assez gros et solide mais présenter aussi de fines textures. Généralement parlant, les plantes ayant cinq ans de pousse sont les plus désirables ». « Une chose que mon père m’a toujours demandé de chercher, c’est la couche naturelle de substance blanche et cireuse qui recouvre la plante », poursuit M. Xu. Ça, c’est la cire de bambou. Quand on l’a grattée, la couleur verte qu’elle recouvrait apparaît, d’où le nom bambou de jade. La cire protège la plante de toute perte excessive de moisissure et des insectes, en lui donnant une apparence lisse et attirante depuis longtemps admirée par les fabricants d’éventails, dont M. Xu et son père. « Les artistes de la Chine ancienne peignaient souvent les bambous balayés par le vent ou battus par la pluie, également inspirés par le caractère incassable et la flexibilité » de ces plantes, signale Wang Yimin, un expert en peinture chinoise ancienne au Musée du Palais impérial à Pékin.

Une paire d’éventails fabriqués par Xu Jiadong, l’un des meilleurs fabricants de tiges d’éventails dans le pays. PROVIDED TO CHINA DAILY

Une paire d’éventails fabriqués par Xu Jiadong, l’un des meilleurs fabricants de tiges d’éventails dans le pays. PROVIDED TO CHINA DAILY

Quand l’éventail pliant est devenu très en vogue dans le pays au 14ème siècle, le bambou était depuis longtemps entré dans l’iconographie chinoise visuelle et littéraire, un puissant symbole pour ceux qui se considéraient comme des hommes de vertu. C’est dans l’ineffable concept de la sophistication esthétique que se situe la difficulté suprême pour M. Xu. « Tout est là, dans les lignes et dans chacune des courbes – certaines assez soudaines, d’autres si douces qu’elles sont à peine perceptibles – que prennent les lignes », précise l’artisan aujourd’hui reconnu comme l’un des meilleurs fabricants de tiges d’éventails pliants dans le pays. « Du moment que vous avez des lignes gracieuses, vous obtenez des formes gracieuses ». Cette élégance s’apprécie le mieux quand l’éventail est replié, entièrement resserré sur lui-même à l’aide de deux bouts de bambou. En devenant plus étroits du haut vers le bas, ces deux bouts suivent les courbes distinctement conçues et joliment nommées, de manière évocatrice, « l’épaule d’une beauté ».

Généralement, ces deux morceaux appelés les tiges principales, par opposition aux tiges mineures dans l’espace intermédiaire, se déploient légèrement tout au bout. Queue d’hirondelle est le nom donné à un style particulier concernant l’extrémité. « La spontanéité contrôlée » : telle est la formule employée par Wu Jiajun, qui suit depuis trois ans une formation avec M. Xu pendant son temps libre, pour décrire « ce qu’exige l’accession au niveau de talent artistique auquel mon professeur est parvenu ». « La plupart du temps, je me suis aperçu que le contour d’une tige principale est déterminé par quelques applications du couteau à découper », explique M. Wu. « Il n’y a qu’un couteau pour la totalité de l’opération », souligne-t-il. « Parfois, d’un mouvement allongé, le couteau glisse dans la matière ; d’autres fois, il fait des coupures sèches et nettes. Dans un cas comme dan l’autre, il n’est absolument pas question de répéter le même mouvement. On a le sentiment que le maître, guidé par son instinct, finit toujours par dire ce qu’il avait l’intention de dire d’un seul coup de couteau, souple et décisif ».

En ce sens, il y a peu de différence entre la sculpture des tiges d’un éventail et sa représentation en peinture. Dans le second cas, où l’exécution est faite dans le style classique chinois à l’aide d’un pinceau à encre, elle se caractérise aussi par une combinaison de précision et de spontanéité. « Une autre chose que mon père m’a apprise, c’est de concevoir le couteau comme un pinceau », résume M. Xu. « Dans la fabrication d’un éventail, il est systématique de polir les tiges sculptées, mais mon père me rappelait souvent de ne pas trop en faire. ‘Ne vernis pas toutes les traces de couteau pour les faire disparaître’, disait-il, ‘car elles sont les indicateurs d’une authentique œuvre d’art’ ». « La culture des lettrés, promue par l’élite instruite de l’ancienne société chinoise, a exercé pendant plus de mille ans une influence majeure sur la production artistique en Chine », commente M. Wang du Musée du Palais impérial. « C’est seulement quand on a compris ça qu’on peut commencer à concevoir l’éventail pliant non seulement comme un moyen de combattre la chaleur estivale, mais comme une œuvre d’art portable dont quasiment chaque détail est dicté par les sensibilités du groupe des lettrés ».