Elles brodent des tissus et des morceaux d’histoire
Par DENG ZHANGYU

Une nuée d’oiseaux prend vie dans les mains habiles de Fu Xianghong, 59 ans, maître de la broderie Su connue pour ses œuvres sur des thèmes floraux et ornithologiques. GAO ERQIANG / CHINA DAILY
Un fil reliant plusieurs générations d’artisanes dans la ville de Suzhou continue de tisser des motifs toujours plus beaux.
« C’est seulement quand je retire l’aiguille et que je touche du doigt le fil de soie que je me sens tout à fait à l’aise », dit Zou Yingzi, une héritière de la broderie Su, un artisanat ancien né dans la cité jardin de Suzhou, dans la province du Jiangsu. La veille de l’entretien, Mme Zou, 53 ans, avait travaillé plus de 10 heures jusqu’à tard dans la nuit sur une grosse coupe de broderie Su. La réalisation d’une coupe mesurant plus d’un demi-mètre peut prendre des mois. De la mère de Zou Yingzi à ses grand-mères, toutes les femmes de sa famille excellent dans les travaux d’aiguille, en particulier dans la broderie Su, qui se caractérise par des points complexes et l’utilisation créative de fils de soie teints de différentes couleurs.

Animaux et fleurs sont des sujets emblématiques des travaux de Fu Xianghong. GAO ERQIANG / CHINA DAILY
La broderie Su remonte à plus de 2 000 ans. Pendant des siècles, les travaux d’aiguille avaient constitué une compétence dont l’acquisition était indispensable pour les femmes chargées de fabriquer des vêtements pour leur famille. Traditionnellement, les mères tenaient à réaliser de magnifiques broderies pour la confection de la tenue de mariage de leurs filles. Mme Zou dit qu’à l’âge de 6 ans, elle avait commencé à aider sa mère à fabriquer des articles en broderie Su. « Je rêvais de devenir peintre, mais l’aiguille a contribué à faire du rêve une réalité ». Son atelier à Suzhou déborde de ses travaux. Fleurs, chats, papillons, figurines de divinités bouddhistes et scènes de la nature deviennent vivants et réels sur le tissu de soie. On peut même distinguer un brin unique dans la fourrure d’un chat. Un seul fil de soie peut être séparé en 16 brins ou plus qui, dans la plupart des cas, sont trop fins pour être perceptibles.

À 53 ans, Zou Yingzi se consacre à l’héritage de la broderie Su depuis des décennies. PROVIDED TO CHINA DAILY
La broderie Su est connue pour ses couleurs vives, ses techniques complexes, l’élégance de ses motifs et la netteté de ses points. Toutes ces caractéristiques, qui les distinguent des autres styles de broderie en Chine, sont de longue date reliées au milieu naturel et au style de vie qui prévaut à Suzhou, une cité forte d’une longue histoire de fabrication de la soie et d’artisanat textile, explique Zheng Lihong, professeur d’art à l’université Soochow de Suzhou. La ville est fière de ses jolis jardins et de son image de berceau l’opéra Kunqu. C’était un centre économique et culturel dans la Chine ancienne. Nombre des membres de la noblesse et des couches éduquées s’étaient établis dans la ville, et les femmes de ces familles nobles en particulier avaient le goût de l’art. Le style de leurs travaux d’aiguille était influencé par les goûts des nobles de la ville en matière d’esthétique. « Dans une certaine mesure, la broderie Su est proche de la peinture », dit Mme Zheng. « De nombreux artistes offraient leurs peintures à l’encre et leurs calligraphies aux brodeuses pour qu’elles les reproduisent ».

Œuvre de broderie représentant un paysage, vitrine de l’artisanat de Zou Yingzi, maître connue pour son style de couture unique. PROVIDED TO CHINA DAILY
La broderie a atteint son âge d’or pendant la dynastie Song (960-1279), en incorporant des éléments de peintures lettrées prisées à l’époque. Cette spécialité artisanale s’imposa à la cour de la dynastie Qing (1644-1911) et fut utilisée dans la confection des robes et des décorations convoitées par la famille royale chinoise. C’est pendant cette période que le terme suxiu, qui désigne la broderie Su, fut adopté. Contrairement à Mme Zou, dont les travaux ressemblent plus à des œuvres artistiques, les produits de Fu Xianghong, âgée de 59 ans, sont souvent faits pour un usage de tous les jours. Assise dans son atelier à Suzhou, dont les murs sont couverts de grandes broderies de fleurs, d’oiseaux et d’animaux, Mme Fu décrit la broderie Su comme une sorte d’art qui décore la vie. De magnifiques étuis de soie pour téléphone cellulaire, des sacs éventails, des habits arborant des motifs de broderie Su, des accessoires, des paravents et même des meubles font partie de sa gamme de produits. Comme d’autres brodeuses, la technique de Mme Fu est un héritage familial. Elle montre avec fierté une grande broderie de fleurs faite par sa mère et une autre pièce magnifique représentant des pruniers et des fleurs, réalisée par sa tante. Les deux femmes étaient septuagénaires quand elles ont produit leurs travaux. Mme Fu, née dans un village d’une région montagneuse où l’on trouve des fleurs toute l’année, excelle à la création d’ouvrages sur des thèmes floraux. Pour donner vie aux fleurs qu’elle représente, elle va dehors pour observer son sujet de près, mais elle passe la plupart de son temps dans son atelier, où elle peut coudre assise pendant des heures, parfois tellement absorbée qu’elle en oublie de manger et de dormir. Pour recréer les couleurs des fleurs, elle doit coudre les parties essentielles de ses représentations pendant la journée, car la lumière naturelle joue un rôle important dans la création de broderie Su en raison de l’abondance des couleurs propre à cet artisanat. Pour une seule couleur, Mme Fu doit teindre des douzaines de tons. Les différentes parties d’une fleur requièrent aussi des fils de diverses épaisseurs. « Derrière la beauté de la broderie Su se cachent de nombreuses procédures complexes. Le charme de l’art, c’est son utilisation hautement flexible et novatrice des techniques de couture ». Mme Fu dit qu’en raison de la créativité et de l’innovation requises, son travail ne peut pas être exécuté par des machines ou à l’aide de l’intelligence artificielle, car son charme repose sur la touche humaine.