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Témoin de l’Histoire

Par WANG KAIHAO

Témoin de l’Histoire

Un groupe de visiteurs au musée national des livres classiques, profondément intéressés par le bocal en porcelaine géant bleu et blanc qui a été extrait de Dingling. JIANG DONG / CHINA DAILY

Une exposition invite à une réévaluation de la vie et de l’époque de Wanli, empereur des Ming.

En 1573, le trône était occupé par Zhu Yijun, un garçon de 10 ans à la tête d’un empire retombé de son zénith. Ainsi commence l’histoire de l’empereur ayant eu le règne plus long de la dynastie Ming (1368-1644), au cours d’une vie riche en controverses et en légendes – qu’il s’agisse des troubles politiques, des relations tendues avec les hauts dignitaires ou d’une « mère tigre » responsable de sa solitude, le tout rendant difficile sa gestion des affaires de l’État.

Cependant, son règne de 48 ans avait une autre face : une vague de prospérité, la relance des relations avec l’étranger, les triomphes militaires, l’anéantissement des rebellions et les efforts couronnés de succès dans la lutte contre les envahisseurs. Mieux connu sous le nom de l’Empereur Wanli, le personnage, à l’origine d’une ère complexe, a laissé un souvenir qui nourrit les désaccords et les jugements. Une exposition pékinoise est susceptible d’inciter les visiteurs à réévaluer sa vie en tentant de démêler les fils qui la composent. Co-organisée par la Bibliothèque nationale de Chine, Art Exhibitions China et plusieurs autres institutions, l’exposition programmée pour quatre mois et intitulée « Encounter a Colorful Ming Dynasty in 1573 : A Special Exhibition on Cultural Relics From Wanli Era » (À la rencontre d’une dynastie Ming haute en couleur en 1573 : une exposition spéciale sur les reliques culturelles issues de la période Wanli) a été ouverte au public fin avril au musée national des livres classiques. Les 137 œuvres anciennes, rassemblées sous forme de prêts accordés par l’administration des tombeaux des Ming, le centre national d’archéologie et le musée des beaux-arts de Pékin, comprennent des objets travaillés en or, en argent et en jade, des textiles et de la porcelaine.

« Les objets anciens ne représentent pas seulement le niveau élevé de la production artistique et artisanale de l’époque, ils traduisent aussi le prestige royal et les caractéristiques sociales de l’époque », commente Feng Xue, une commissaire de l’exposition. La couronne de l’empereur, nouée à l’aide de plus de 500 fils d’or, fait partie des pièces phares de l’exposition. Chaque fil ne fait pas plus de 0,2 millimètre d’épaisseur, et la couronne pèse environ 800 grammes. Deux dragons sont l’un et l’autre fixés sur les deux ailes de la couronne, qui est ornée de quelque 8 000 « écailles de dragon » en or – une vraie vitrine des techniques avancées de l’époque.

Les robes impériales reflètent un artisanat raffiné et un système de bienséance.

Les robes impériales reflètent un artisanat raffiné et un système de bienséance. JIANG DONG / CHINA DAILY

C’est dans les années 1950 que la Chine a procédé à sa première fouille archéologique des tombeaux des Ming – et c’est la seule à ce jour. On a ouvert le mausolée de Wanli, également dénommé Dingling. Plus de 3 000 reliques culturelles ont été découvertes dans sa tombe. Les magnifiques robes royales que portaient l’empereur et son impératrice sont par exemple de nature à faire admirer le raffinement du goût artistique qu’elles expriment. L’Empereur Wanli n’avait que 21 ans quand il a choisi le lieu de sa dernière demeure. La construction de Dingling a pris six ans ; le plan du tombeau est quasiment une réplique de la splendide résidence qu’il a occupée de son vivant : la Cité interdite.

Parmi les pièces exposées figurent de la vaisselle en or, des meubles miniatures de bronze, des pièces de monnaie où sont inscrits les mots de bon augure « Gardez le Diable éloigné », ainsi que des artefacts rituels en jade que Wanli a utilisés jadis. Néanmoins, ce à quoi il aspirait était probablement bien plus que le choix de son propre lieu de repos éternel. Il faut peut-être y voir l’espoir que symboliserait un bocal géant en porcelaine bleu et blanc, de plus de 70 centimètres de diamètre. On a trouvé de la graisse à l’intérieur, ce qui indique que le bocal était destiné à contenir une lampe. En chinois, ming signifie « clarté ». Par le biais des lampes dites à combustion longue, il se peut que Wanli ait exprimé le vœu que sa dynastie fasse à jamais honneur au nom qu’elle porte.

L’Histoire n’a pas donné suite à l’espoir de Wanli. La dynastie Ming a connu sa fin 24 ans après sa mort. « Les gens peuvent critiquer l’Empereur Wanli pour son rôle dans la chute des Ming, mais son règne a brièvement inversé la tendance vers le déclin de la dynastie », considère Sun Xiaobing, directeur adjoint de l’institution Art Exhibitions China. « Le caractère inclusif et l’intense vie urbaine qui caractérisent cette période impressionnent nos contemporains, nous invitant parallèlement à solliciter notre imagination ». Comme de nombreux historiens l’ont noté, l’ère de Wanli a été un âge de changement. Au cours de son règne, le prêtre jésuite italien Matteo Ricci est devenu le premier Européen à pénétrer dans la Cité interdite, ouvrant par là-même les rapports entre l’Est et l’Ouest dans le cadre des communications interculturelles.

« Le commerce à l’ère des explorations a apporté à la Chine la civilisation matérielle venue de l’étranger et permis ainsi des échanges et une influence mutuelle entre les différentes cultures », explique Mme Feng. « La culture urbaine rayonnait et le secteur de l’édition était particulièrement florissant. La communication des idées a déclenché d’étonnantes étincelles et produit de juteux fruits culturels ». En 2007, des archéologues ont découvert une épave au large du rivage de l’île Nan’ao de Shantou, dans la province du Guangdong. On en a attribué l’origine à l’époque des derniers Ming, en gros à l’ère de Wanli. La plupart des céramiques récupérées de l’épave, baptisée « Nan’ao One » par les archéologues, ont été exportées comme produits de Chine méridionale et persistent désormais en tant que témoignage physique de la route de la soie maritime. Plusieurs objets en céramique de ce type provenant de Nan’ao sont également présentés à l’exposition. « À partir du mitan de l’ère Wanli, les céramiques chinoises ont commencé à être échangées outre-mer par les navires marchands portugais et hollandais, compte tenu du large attrait dont elles bénéficiaient en Europe », relève Mme Feng. « La mode européenne a de son côté été introduite en Chine et a ainsi influencé les motifs des articles sortant des fours à poterie chinois ».