Quand la porcelaine créa la fureur du « Made in China »
Par DENG ZHANGYU et MA ZHENHUAN
Tasses à thé fabriquées par un artisan spécialisé dans le céladon de Longquan. JIANG DONG / CHINA DAILY
La magnificence de l’artisanat et du style ont été dès l’origine les marques de fabrique d’un produit toujours très demandé à l’échelle mondiale.
Quelle aurait été, il y a des siècles, la journée type d’un artisan spécialisé dans le céladon à Longquan de la province du Zhejiang, alors que cette porcelaine de jade verte était l’objet d’une demande mondiale frénétique ? Il avait vraisemblablement besoin de travailler jour et nuit pour produire autant de pièces que possible et honorer les commandes venues de Perse, du Japon et de l’Inde. Très probablement, il était contraint de demander aux membres de sa famille et à des parents de l’aider à traiter sa lourde charge de travail. Les céramiques récupérées sur les épaves dans d’anciens ports du monde entier témoignent des énormes quantités de céladon exportées dans d’autres parties de l’Asie, en Europe et en Afrique de l’Est, selon Liu Ying, directrice du musée du céladon à Longquan. Les exportations de céladon de Longquan ont atteint leur pic pendant la dynastie Yuan (1271-1368). D’après les archives, environ 80% des céramiques exportées de Chine à l’époque étaient des poteries de couleur verte fabriquées à Longquan. Une exposition au musée local du céladon a rassemblé des reliques en porcelaine découvertes sur le site de l’al-Mataf, une ruine portuaire ancienne dans la banlieue de Ras al-Khaimah, aux Émirats arabes unis. Fruit des fouilles menées dans le port où les bateaux s’arrêtaient après leur entrée dans le Golfe, ces objets ont été comparés avec 30 pièces semblables conservées dans le musée du Palais à Pékin. Une analyse scientifique des pièces extraites du site de l’al-Mataf montre leur similitude avec celles produites en Chine à la même époque, notamment le céladon de Longquan. L’analyse a été effectuée en 2018 par une équipe archéologique chinoise dirigée par Wang Guangyao, un expert en porcelaine du musée du Palais.
Statue d’une divinité bouddhiste datant de la dynastie Yuan (1271-1368). JIANG DONG / CHINA DAILY
Vase sur le thème du tigre datant de la dynastie des Song du Sud (1127-1279). JIANG DONG / CHINA DAILY
Vase de la dynastie des Song du Sud sur le thème du dragon. JIANG DONG / CHINA DAILY
Après trois années de fouilles et d’études à l’al-Mataf, qui était située le long d’une des routes maritimes les plus commercialement actives au monde il y a un millénaire, M. Wang estime que les travaux de son équipe apportent la preuve que le céladon de Longquan et les céramiques bleues et blanches étaient les deux principaux types de porcelaine exportés des siècles plus tôt. « Avec la soie et le thé, la céramique était l’un des trois grands produits sur lesquels reposaient les exportations de la Chine ancienne », rappelle-t-il. C’est sous la dynastie des Tang (618-907) que la céramique produite en Chine a fait son apparition sur les marchés étrangers. Les produits en céramique dans leur vaste gamme, notamment des bols, des plats, des pots et des vases, étaient transportés dans le monde entier par voie terrestre ainsi que par l’ancienne route maritime de la soie. Ils étaient désignés d’après leur pays d’origine pour mettre en lumière leur singularité et le fait qu’ils ne pouvaient être achetés qu’en Chine. « L’histoire de l’exportation de la céramique est aussi une histoire des échanges culturels et technologiques entre la Chine et le reste du monde », commente M. Wang. Avant le 14ème siècle, la Chine contrôlait la production de porcelaine de haute qualité et représentait un marché axé sur les vendeurs. Les pièces découvertes à Taicang, un ancien port de Suzhou, dans la province du Jiangsu, montrent que le céladon de Longquan était transporté sans être sorti de ses caissons prévus pour la cuisson. Pendant la cuisson, des morceaux de céladon étaient placés dans des caisses de poteries pour les protéger des cendres. En général, la moitié des produits étaient utilisables, le reste étant brisé ou défectueux. De ces objets, Mme Liu dit : « Qu’ils soient bons ou mauvais, les marchands les achetaient tous. C’est dire l’ampleur de la demande qui régnait alors sur le marché ». À partir de la dynastie des Ming (1368-1644), les exportations de porcelaine bleue et blanche ont déclenché une fascination mondiale autour de ces précieux trésors venus d’Orient. Les fabricants de porcelaine chinois ont alors commencé à produire des articles adaptés aux goûts dominants dans les différents pays. À partir du 16ème siècle, la porcelaine Kraak, une variété bleue et blanche faite sur mesure et destinée aux seuls marchés étrangers, a été cuite à grande échelle dans les fours de la province du Fujian. Bien que le mot kraak soit hollandais, on pense qu’il est dérivé de l’appellation des bateaux portugais (carracks) qui transportaient cette porcelaine.
Le 18ème siècle a vu une augmentation des commandes de porcelaine armoriale bleue et blanche de la part des familles royales et des classes aristocratiques d’Europe. Ces pièces, dont le centre portait le cimier peint des familles en question, n’étaient utilisées que dans les grandes occasions. « Sur la porcelaine, vous pouvez trouver tous les éléments des courants et des tendances du monde entier », remarque M. Wang. C’est ainsi que la porcelaine bleue et blanche produite à Jingdezhen, dans la province du Jiangxi, évoquait la technologie de différentes parties du monde, qui était alors évoluée et finissait par gagner tout le globe. Pendant la dynastie Qing (1644-1911), sous l’influence de l’Occident, la porcelaine chinoise adopta des couleurs autres que le vert privilégié par la dynastie Song (960-1279). Certains fabricants eurent recours aux techniques du verre et de l’émail importées d’Europe pour produire des céramiques multicolores adorées par la famille impériale à la Cité interdite. « La fabrication de la céramique représente en Chine une histoire de 3 000 ans », conclut M. Wang. « Notre porcelaine a absorbé les influences d’autres cultures pour s’enrichir au fil des générations ».