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Un héritage architectural à double usage

Par YANG FEIYUE

Des bâtiments de terre circulaires et rectangulaires blottis les uns contre les autres et se fondant dans leur environnement naturel. SHEN ZHIJIAN / FOR CHINA DAILY

Des bâtiments de terre circulaires et rectangulaires blottis les uns contre les autres et se fondant dans leur environnement naturel. SHEN ZHIJIAN / FOR CHINA DAILY

Maisons et fortifications, des bâtiments de terre datant de plusieurs siècles attirent les touristes, séduits par leur style sans pareil et leur double fonctionnalité.

Dans un paysage idyllique avec ses chemins empierrés, ses profondes ornières creusées par les roues des charrettes, ses luxuriantes terres agricoles et l’eau claire d’une rivière coulant à flot, se détache un groupe de bâtiments historiques brillant comme les joyaux de la couronne. Nous sommes dans la ville ancienne de Yunshuiyao. Connus sous le nom de tulou, ces bâtiments de terre circulaires et rectangulaires se situent essentiellement dans des rizières, des champs de blé et de tabac ; certains peuvent accueillir jusqu’à 800 personnes. Construits autour d’une cour centrale à ciel ouvert, comportant une seule entrée et des fenêtres donnant sur l’extérieur uniquement au-dessus du premier étage, ils présentent des murs d’argile d’un jaune délavé et des toits en bois d’un brun foncé, comme s’ils sortaient d’un autre monde tout en ayant une étrange façon de se fondre dans leur environnement. Les visiteurs y découvrent des décors à couper le souffle alliés à un sentiment de paix et de tranquillité. « On enregistre un nombre croissant de visiteurs, dont la plupart voient leur curiosité piquée par les tulou », dit Zhang Mintai, qui a grandi dans un quartier tulou local et peut témoigner de la popularité grandissante de cette ville située dans le comté de Nanjing, lui-même intégré à la cité de Zhangzhou dans la province du Fujian.

Vue plongeante des bâtiments de terre dans le comté de Nanjing de la province du Fujian, au milieu de forêts et de terres agricoles en gradins. HUANG QIUHUA / FOR CHINA DAILY

Vue plongeante des bâtiments de terre dans le comté de Nanjing de la province du Fujian, au milieu de forêts et de terres agricoles en gradins. HUANG QIUHUA / FOR CHINA DAILY

Disséminés de part en part des régions montagneuses de la province, les tulou sont apparus au XIIème siècle. Ils étaient l’œuvre des Hakka, une ethnie dont le nom signifie littéralement « les invités ». Ces bâtisseurs des temps anciens étaient principalement des migrants originaires des territoires contigus au fleuve Jaune, avant leur migration vers le sud de la Chine. Un conflit né des tensions démographiques entre les Hakka et leurs voisins déboucha sur l’édification de demeures faisant aussi office de fortifications. Bâtis sur des terrains escarpés pour une population relativement clairsemée, les tulou permettaient à leurs habitants de vivre ensemble, protégés des bêtes sauvages et des bandits en mal de saccages. À ce jour, on compte plus de 15 000 bâtiments tulou dans le comté de Nanjing, et plus de 23 000 dans le district de Yongding dépendant de la cité de Longyan. Ces bâtiments ont acquis une plus grande notoriété lorsque l’UNESCO accorda à 46 d’entre eux le statut de patrimoine mondial en 2008. Sur son site Web, l’UNESCO les décrit comme « des exemples de bâtiments exceptionnels de par leur tradition de construction et leur fonction, qui constituent un exemple unique de peuplement humain, fondé sur une vie en communauté et des besoins défensifs tout en maintenant une relation harmonieuse avec leur environnement ». Pour M. Zhang, « un attrait majeur des tulou réside dans le fait qu’ils sont faits de pisé et de bois et que malgré tout, ils ont résisté à l’épreuve du temps, puisqu’ils durent depuis plus de 1 000 ans ».

Jian Rongwei, ancien conservateur du musée du comté de Nanjing, qui étudie depuis des années les techniques de construction des bâtiments de terre des Hakka, pense que l’essence de leur artisanat réside dans « le rapport hauteur-épaisseur des murs poussé à l’extrême ». Ce rapport, observé dans plus de 1 300 tulou de Nanjing, va généralement jusqu’à 10 contre 1, alors qu’il est de 3 contre 1 dans d’autres constructions traditionnelles en pisé. « L’épaisseur de la base des murs est réduite de trois bons mètres (par rapport aux bâtiments conventionnels) et diminue progressivement en montant tout en s’inclinant vers l’intérieur pour produire une forme trapézoïde et une puissante force tournée vers l’intérieur », explique M. Jian, avant d’ajouter : « Il en résulte une excellente résistance séismique ». En outre, la sagesse ancienne des Hakka est parvenue à surmonter les défis rencontrés au fil des travaux, allant du durcissement de la terre crue jusqu’à sa résistance à l’eau de pluie. « C’est beaucoup plus de travail que le seul fait de compacter le sol avec des outils de damage, qui se résumaient à quelques planches de bois et des bâtons » (en guise de manches), précise M. Jian. « En fait, cela suppose une prise en compte rigoureuse de différents aspects, tels que le pourcentage de terre crue, la part du labeur humain, l’ajout de bois de pin, les techniques de damage, les conditions météorologiques et la période de construction », détaille-t-il. Prenons l’exemple du Huaiyuanlou dans le comté en question. La construction de ce tulou de quatre étages et de 14,5 mètres de hauteur, inscrit sur la liste de l’UNESCO, a mobilisé des douzaines de personnes qui ont passé quatre années à mélanger la terre, constituer des outils, prendre des mesures, damer la terre, poser le bois de pin et tambouriner les murs. « Tout le monde avait des responsabilités bien définies et chaque étape était parfaitement organisée. Pour s’assurer de la solidification et du séchage des murs, on observait une pause d’un an dans la construction après l’achèvement de chaque couche de damage », élabore M.Jian.

Le Huaiyuanlou au coucher du soleil. ZHANG JIE / FOR CHINA DAILY

Le Huaiyuanlou au coucher du soleil. ZHANG JIE / FOR CHINA DAILY

L’importance des structures de terre a également incité la population locale à exploiter la richesse des ressources offertes par les tulou et à réaffecter ceux qui étaient en mauvais état. Dans le village de Tianzhong à Nanjing, ce sont en tout sept tulou qui ont fait l’objet de travaux de remise en état aux mains d’artisans expérimentés, à partir de 2014. « Nous avons fait de notre mieux pour préserver les styles et les caractéristiques historiques de ces tulou », affirme Ye Fan, patron de l’entreprise chargée de la rénovation. Cette initiative a permis au village d’accumuler plus de 300 000 séjours touristiques et aux familles locales de tirer profit des activités offertes dans les secteurs de l’hébergement et de la restauration.