La culture du thé solidement enracinée
Par WANG RU et LI YINGQING
Des récoltants dans la province du Yunnan ramassant des feuilles de thé pour la fabrication du Pu’er, une variété de thé fermenté. PROVIDED TO CHINA DAILY
La Chine revendique une fière tradition de production et de promotion de ce breuvage.
Avant le lever du jour, les gens de la région montagneuse de Dongting, près du lac de Taihu à Suzhou, dans la province du Jiangsu, gagnent les montagnes en portant des paniers pour les remplir des feuilles de thé qu’ils vont cueillir à la lumière de leurs lampes. Le printemps est l’époque de l’année la plus chargée pour le ramassage des feuilles et la confection du Biluochun, un type de thé vert cultivé biologiquement dans la région.
Au retour des travailleurs à la mi-journée, Shi Yuewen, âgé de 55 ans, met son talent à pleine contribution. La fabrication du Biluochun est un artisanat considéré comme patrimoine culturel immatériel de niveau national, auquel M. Shi se consacre depuis quelque quatre décennies.
C’est avec fierté et joie qu’il a appris que l’UNESCO avait ajouté, en novembre 2022, les techniques chinoises traditionnelles de traitement du thé et les pratiques sociales afférentes à la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
La Chine se targue de posséder plus de 2 000 variétés de thé, réparties principalement entre les catégories suivantes – thé vert, jaune, foncé, blanc, oolong et noir, ainsi que les thés retraités tels que ceux dégageant un parfum floral. Il existe 44 éléments liés au thé et appartenant au patrimoine culturel immatériel de niveau national, dont l’art de la confection du Biluochun.
Fort d’une histoire d’un millier d’années, le Biluochun, qui veut dire « source verte en spirale », est fait à partir de pousses de thé extrêmement tendres. Il est connu pour son allure en forme de spirale et il présente des zones de duvet blanc produit par des feuilles de thé séchées. Pendant l’infusion du thé, l’eau prend rapidement une vive couleur verte ; la boisson se caractérise par un arôme fort ainsi que par la fraîcheur et la douceur de son goût.
« Le Biluochun doit être traité rapidement après la cueillette », indique M. Shi, qui veille souvent tard pour fabriquer le thé pendant la saison de la récolte entre le 15 mars et le 25 avril.
Il place les pousses de thé tendres dans une poêle en métal chauffée à 300° centigrades et les mélange rapidement, ce qui est la clé de la fabrication de ce thé. Une autre personne l’aide généralement à l’entretien d’un feu de bois. M. Shi doit rester particulièrement attentionné, sinon les feuilles brûlent facilement, pendant que la personne veillant au feu doit ajuster la température en fonction de l’état du thé, jugé à l’odorat.
Vient ensuite le formatage. En mélangeant, secouant et frottant les feuilles de thé dans la poêle à 100° C, on obtient qu’elles commencent à s’assécher et à adopter une forme en spirale. M. Shi continue de frotter les feuilles jusqu’à ce qu’elles soient bien sèches, qu’elles prennent progressivement la forme de spirales et produisent le duvet blanc. Le Biluochun est entièrement fabriqué à la main. Le procédé prend, dans son intégralité, une quarantaine de minutes.
Dans le district de Ning’er, au centre de la ville de Pu’er dans la province du Yunnan, Li Xingchang, âgé de 68 ans, est dans sa famille le huitième héritier à fabriquer le thé de qualité Pu’er, une variété de thé fermenté qui était fourni en tant qu’hommage à la cour de la dynastie Qing (1644-1911). Le thé-hommage, consommé par les empereurs chinois, a exercé une énorme influence sur le cours de l’histoire du thé dans le pays.
En 2004, les autorités locales ont organisé un groupe d’étude qui s’est rendu au domicile de M. Li. Sa mère, Kuang Zhiying, qui avait plus de 90 ans, a décrit au groupe l’histoire et le procédé du thé-hommage de Pu’er.
Elle a en particulier fait référence au thé-hommage en forme de citrouille, pour lequel le thé Pu’er était compressé pour lui donner la forme d’une citrouille, puis envoyé en signe d’hommage à la cour Qing. Plus tard, les experts du groupe découvrirent que le thé-hommage en forme de citrouille, désormais conservé dans le Musée du Palais, le palais impérial de la Chine entre 1420 et 1911, était précisément de la même forme, de la même taille et du même poids que celui décrit par Mme Kuang.
Le Biluochun est fait à partir de pousses de thé tendres. PROVIDED TO CHINA DAILY
Liang Guilin, un chercheur étudiant l’histoire du thé au musée de l’histoire du Shaanxi à Xi’an, la capitale provinciale, affirme que « la Chine a d’abord découvert le thé puis lui a donné ses connotations culturelles ».
Les Chinois ont commencé à boire du thé sous la dynastie des Han de l’Ouest (206 avant notre ère-24 de notre ère) – comme en témoignent les vestiges du breuvage mis au jour à Yangling où est situé le tombeau de l’Empereur Liu Qi (188-141 avant notre ère).
La dynastie Tang (618-907) vit la parution de The Classic of Tea, par l’écrivain du 8ème siècle Lu Yu, nommé le Sage du thé. Le livre illustre l’histoire du thé, le procédé de sa fabrication et les différentes coutumes liées à sa consommation.
« Si nous disons qu’il y a environ 4000 ans, les gens ont trouvé du thé poussant à l’état sauvage, et que ce moment marque la première découverte du breuvage, alors ce livre reflète la naissance de la cérémonie du thé. Les gens se sont aperçus que pour boire une bonne tasse de thé, il leur fallait planter l’arbre, cueillir les feuilles, traiter et infuser la boisson », explique M. Liang.
« Par ailleurs, les gens se sont rendu compte des fonctions spirituelles du thé. Ils ont conjugué sa consommation avec la pratique du guqin (un instrument à sept cordes), le jeu d’échecs, l’écriture calligraphique et la peinture, ce qui pris dans son ensemble compose la culture de la cérémonie du thé », ajoute-t-il.
Sun Dongning, directeur exécutif du centre d’exposition et de recherche du patrimoine culturel immatériel national, dit qu’en Chine, l’application des techniques traditionnelles de traitement du thé et des pratiques sociales afférentes, en vue du classement au patrimoine culturel immatériel mondial, a commencé à la fin de 2020.
« Il s’agit des étroites relations de la culture traditionnelle avec la vie moderne. C’est en parfait accord avec la description de la culture dans la Déclaration universelle sur la diversité culturelle adoptée par la Conférence générale de l’UNESCO lors de sa 31ème session en 2001. La déclaration stipule que la culture est au cœur des débats actuels sur l’identité, la cohésion sociale et le développement d’une économie basée sur la connaissance », rappelle M. Sun.
Et de conclure : « le patrimoine culturel immatériel nous est venu de la vie quotidienne des anciens, et il fait aussi partie de la vie moderne ».
Article réalisé avec la collaboration de Wang Kaihao.