Le travail à la tâche ou à la demande invite à un nouvel équilibre entre vie professionnelle et vie privée.
Li Wenjing dit qu’elle était au bord du désespoir en juin dernier quand, à 36 ans, elle a décidé de quitter son emploi à plein temps dans une multinationale. En cause : les innombrables conférences d’affaires auxquelles elle devait participer. « J’avais l’impression de me noyer dans une vague incessante de réunions qui produisaient des résultats extrêmement limités », explique la spécialiste de gestion des compétences. « Je ne voyais aucun sens à mon travail et ça me rendait mal à l’aise ». Après deux mois de congés, elle décida de se lancer dans le monde de l’emploi flexible et elle est aujourd’hui propriétaire d’un cabinet conseil en ressources humaines. Elle gagne plus et travaille à heures souples, dit-elle, ce qui lui donne plus de temps avec son fils de cinq ans. Finies, la navette maison-bureau et la corvée d’assister à quantité de réunions. Elle travaille aussi avec plusieurs consultants. Collectivement, Mme Li et les consultants sont désignés par la formule « gig workers », c’est-à-dire travailleurs à la demande. Dans un entretien en 2017, Diane Mulcahy, auteur de The Gig Economy: The Complete Guide to Getting Better Work, Taking More Time Off, and Financing the Life You Want (le guide complet de la recherche d’un meilleur travail, de plus de temps de loisir et du financement de la vie que vous voulez mener), a donné la réponse suivante à une question sur la définition de la « gig economy » : « tout individu œuvrant comme consultant, entrepreneur, travailleur indépendant, travailleur à mi-temps ou travailleur à la demande fait partie de la ‘gig economy’ ». En gros, il existe de multiples façons de décrire les « gig workers », mais toutes renvoient à une évolution dans le comportement des gens, dont un nombre croissant entendent rester maîtres de leurs heures de travail.
En Chine, si l’emploi flexible bénéficie d’une faveur grandissante, surtout chez les jeunes, c’est principalement le puissant développement de l’Internet et de la technologie qui génère des travailleurs à la demande. Bao Chunlei, chercheur associé à l’académie chinoise du travail et de la sécurité sociale, précise que l’emploi flexible désigne des heures et des lieux de travail ainsi que des rémunérations qui ne sont pas fixes, à la différence d’un modèle d’emploi conventionnel basé sur le monde industriel. Lors d’une conférence de presse au ministère des ressources humaines et de la sécurité sociale en mai dernier, on a appris que la Chine comptait environ 200 millions de travailleurs en emploi flexible. Le pays accentue sa transition économique et ces travailleurs illustrent une tendance à l’échelle de la nation. C’est dans le secteur des services, qui représente 54% du PIB de la Chine, que l’emploi flexible est le plus développé. La croissance rapide de l’économie de plateformes en ligne a produit des dizaines de millions d’emplois à la demande, offrant aux travailleurs une sécurité financière quand ils changent de carrière. Les exigences relatives aux qualifications et à l’âge pour de tels emplois sont bien moins contraignantes par rapport à des postes traditionnels, ce qui permet à des migrants de trouver plus facilement du travail dans les villes.
Zhang Yongqiang, âgé de 38 ans, travaille pour la société pékinoise de livraison de repas à domicile Meituan. Après deux échecs en tant que propriétaire de snack bar, il a opté pour un emploi de livreur à plein temps en 2016. Pour gagner plus, il prend autant de commandes que possible sur la plateforme de Meituan. Généralement, il renonce à retourner dans le Shanxi, sa province natale, pour revoir sa femme et ses deux enfants, préférant travailler pendant les périodes de congés pour bénéficier de primes fournies par la plateforme. En Chine, les économistes du travail s’intéressent et prêtent une attention grandissante aux travailleurs tels que M. Zhang. Selon eux, tout en fournissant une solution au problème des moyens de subsistance, l’emploi flexible a aussi réduit la tension sur la main d’œuvre urbaine.
M. Bao estime que « pour mieux protéger effectivement les droits et l’intérêt des ‘gig workers’, les termes ‘travailleur à la demande’ et ‘travailleur flexible’ ont besoin d’une définition plus claire et plus spécifique ». Il juge également nécessaires « un système de classement pour permettre à ces gens d’être enregistrés dans le cadre d’un nouveau modèle d’emploi ainsi que l’établissement d’un mécanisme de statistique et d’enquête ». Et de conclure qu’il reste de nombreux détails à étudier et à peaufiner à l’égard d’une forme d’emploi qui est encore nouvelle et émergente en Chine.