Trois fleuves produisent les forces vives d’une région enchantée, prodige naturel.
C’est une histoire qui transcende le temps, un témoin des changements causés par la mer, une terre baignée par des « fleuves mystères », une arche de vie, une symphonie de phénomènes naturels, un musée abritant l’éternel et le transitoire, une preuve que la vie peut être à la fois dure et fragile, et une histoire où s’insrivent les regards changeants que portent les gens sur la nature. Il s’agit des Trois Fleuves parallèles des aires protégées dans le nord-ouest de la province du Yunnan, au sud-ouest de la Chine.
L’histoire a commencé il y a une quarantaine de millions d’années, quand la plaque indienne a percuté la plaque eurasiatique et soulevé le plateau Qinghai-Tibet pour former les montagnes embroussaillées de Hengduan. Toit du monde, le plateau Qinghai-Tibet est le berceau où prennent source les fleuves les plus longs d’Asie. C’est entre les gorges qui vont du nord au sud des Hengduan ondulées que coule un puissant trio de voies navigables – le Nujiang à l’ouest, le Lancang au milieu et le Jinsha à l’est. Ce sont les cours supérieurs, respectivement, du Salouen, qui traverse le Myanmar, du Mékong et du Yangtsé, le troisième cours d’eau le plus long au monde. Chose singulière concernant les trois fleuves : ils coulent côte à côte sur 170 kilomètres dans le Yunnan avant que le Jinsha n’oblique radicalement vers le nord-est pour se jeter en fin de parcours la mer de Chine orientale.
Autre singularité : ils coulent étrangement près les uns des autres. L’écart le moins grand entre le Lancang et le Jinsha est de 66 km et la distance entre le Lancang et le Nujiang est de moins de 19 km. C’est ainsi qu’en 1985, ce phénomène géographique visible sur une carte satellite attira l’attention d’un expert de l’UNESCO et que commença le long parcours menant à une demande d’inscription sur la liste du patrimoine mondial. L’UNESCO sélectionne les sites en fonction de quatre critères : revêtir une importance esthétique exceptionnelle, présenter des exemples éminemment représentatifs des grands stades de l’histoire de la Terre, des exemples éminemment représentatifs de processus écologiques et biologiques en cours, et contenir les habitats naturels les plus importants pour la conservation in situ de la diversité biologique. Il suffit de répondre à un seul critère.
Les trois fleuves des aires protégées du Yunnan ont été inscrits sur la liste en 2003. Liang Yongning, professeur de géologie à l’université des sciences et technologies de Kunming dans le Yunnan, précise que c’est le seul site classé au patrimoine mondial qui répond aux quatre critères en Chine. Sur 1,7 million d’hectares, il consiste de 15 aires protégées différentes qui ont été divisées en huit groupes, chacun fournissant un échantillon représentatif de la totalité de la diversité des montagnes de Hengduan, Shangri-La comprise. À l’automne 2022, M. Liang, un spécialiste faisant partie de l’équipe qui préparait la candidature des Trois Fleuves parallèles à l’inscription sur la liste, a reçu deux experts de l’UNESCO envoyés pour étudier la région. Celle-ci était l’une des plus pauvres de Chine il y a deux décennies. Elle était enclavée par des montagnes infranchissables et des rivières tumultueuses. Des routes étaient creusées dans les escarpements et certains ponts n’étaient que des câbles le long desquels se laissaient glisser les gens avec leurs animaux au-dessus de torrents turbulents.
Ce fut une dure expédition qui dura 12 jours. Dans la zone des Trois Fleuves parallèles, qui est un univers de sierras, se dressent 118 pics glacés à plus de 5 000 mètres au-dessus du niveau de la mer. Le plus élevé est le pic Kawagebo (6 740 mètres) dans le comté de Diqing, au sein de la préfecture tibétaine autonome de Diqing ; le fleuve Lancang coule au fond du grand canyon qui est l’une des aires protégées et constitue un habitat de la race menacée des singes au nez retroussé du Yunnan. Là où l’élévation tombe de 6 740 à 760 mètres, la zone présente toutes les sortes de panoramas naturels typiques de l’hémisphère nord, à l’exception des océans et des déserts : des glaciers, des vallées alpines, des lacs alpins, des prés alpins, des forêts de feuillus et de conifères, et ainsi de suite. Témoin d’un changement radical, littéralement causé par la mer, la région est un musée consacré à la géologie, abritant toute une collection de roches diverses, notamment des formations géologiques alpines de grès, des monolithes de granit et des reliefs de karst. Elle offre une gamme de climats variés pour des créatures vivant dans des zones subtropicales, tempérées et glaciales, ce qui en fait la région de Chine à la biodiversité la plus riche.