Seuls sur un îlot aride, des ornithologues redonnent vie à la sterne chinoise à crête, qui était au bord de l’extinction.
De temps à autre, Ding Peng fend les vagues pour se rendre sur Zhongtiedun, un îlot de la grandeur d’un point dans l’immensité de la mer de Chine orientale. Il se fait un devoir de retourner sur la petite île, qui ne s’étend que sur 0,02 kilomètre carré dans la province du Zhejiang, pour aller à la rencontre des sternes chinoises à crête qu’il a contribué à sauver de l’extinction au cours de la dernière décennie, et pour les observer. Cette espèce aviaire est quasiment légendaire pour sa rareté et ses voies migratoires. Elle est classée en danger critique par l’Union internationale pour la conservation de la nature. On recense actuellement moins de 150 sternes chinoises à crête dans le monde, selon M. Ding. Cet oiseau aquatique de taille moyenne, qui mesure entre 30 et 40 centimètres de long, arbore une couronne noire, un plumage gris et un corps blanc. Il a été découvert en 1861 sur l’île d’Halmahera, en Indonésie, par un pionnier de l’ornithologie, le Polonais Heinrich Bernstein. Il n’a depuis été remarqué qu’en très petits nombres à l’échelle mondiale. Des sternes chinoises à crête ont été vues en 1937 sur les îles situées autour de Qingdao, dans la province du Shandong, mais aucune autre n’a été signalée au cours des 63 années qui ont suivi, ce qui avait laissé supposer que l’espèce était éteinte.
Ce n’est qu’en 2000 qu’un photographe d’oiseaux observa plusieurs sternes pâles au bec jaune pointé de noir parmi un groupe de grandes sternes à crête sur les îles Matsu au large de la côte de la province du Fujian. Après vérification par des universitaires, les oiseaux se révélèrent en effet appartenir aux sternes chinoises à crête si recherchées. Diplômé de l’université de Ningbo en 2012, M. Ding accepta un emploi à la réserve naturelle nationale de l’archipel de Jiushan dans le Zhejiang. Au cours de sa deuxième année de travail dans la réserve, il suivit une formation professionnelle au cours de laquelle il entendit pour la première fois parler de la sterne chinoise à crête. En 2004 puis en 2007, des spécialistes en ornithologie du musée d’histoire naturelle du Zhejiang découvrirent quelques-unes de ces sternes sur l’archipel de Jiushan, mais en raison de typhons et d’autres facteurs, les oiseaux ne purent se reproduire et finirent par disparaître de l’archipel.
« J’ai été alerté par le fait que leur nombre était à peine de 30 dans le monde à l’époque », dit M. Ding. Il prit alors la résolution de se joindre aux efforts entrepris pour trouver et protéger l’espèce rare. En mars 2013, il accosta sur l’îlot de Zhongtiedun avec plus de 30 experts nationaux et étrangers pour sélectionner une zone de reproduction destinée aux sternes chinoises à crête. La période de reproduction se situe généralement entre mai et août ; les oiseaux préférant pondre sur de petites îles à faible couvert forestier, l’îlot relativement plat fit l’affaire de M. Ding et de l’équipe d’experts. « On coupa les arbustes les plus hauts et y répandit 400 faux oiseaux de la même taille que les sternes chinoises à crête ; on fit entendre un enregistrement sonore de bruits d’oiseaux configuré pour simuler le son des amours », détaille M. Ding qui, avec un bénévole américain, installa un point d’observation sur l’île de Jigushan, directement en face de Zhongtiedun, à une distance suffisante pour ne pas perturber les activités d’accouplement. Pour autant, aucun oiseau ne se laissa attirer au cours des deux mois suivants. La décision d’abandonner l’expérience pour cette année-là venait d’être prise quand un retournement de situation se produisit. « Je vis un gros groupe de grandes sternes à crête flotter dans le ciel », dit M. Ding. Il reprit espoir car les sternes chinoises à crête ont souvent été observées vivant parmi leurs proches que sont les grandes sternes à crête. En effet, deux jours plus tard, plusieurs sternes chinoises à crête furent découvertes dans le groupe des grandes sternes.
Les experts restèrent sur l’île et trouvèrent 19 autres sternes chinoises à crête cette année-là, dont deux oisillons. Dès lors, les oiseaux ayant choisi Zhongtiedun, il en vint d’autres. En 2014, M. Ding et ses collègues installèrent une tente dont ils firent leur résidence et poste de travail en ce lieu éloigné. Ils gardent un relevé exact de leurs observations faites au cours des années suivantes. Le nombre d’oiseaux adultes est passé de 41 en 2014 à 93 cette année, et celui des oisillons, de 13 à 36. « Depuis la mise en œuvre du projet de restauration, Zhongtiedun est devenu le plus grand site de reproduction de sternes chinoises à crête », souligne M. Ding. Un minimum de 150 oisillons ont éclos, représentant plus de 80% des naissances dans le monde entier.