Quand l’architecture symbolise le patrimoine culturel d’une nation…
Fruit d’un des chantiers les plus colossaux de l’histoire de l’humanité, la Grande Muraille est la quintessence de la sagesse et de la persévérance de la Chine ancienne. Elle représente une stratégie de défense monumentale mise en œuvre par une dynastie après une autre et reste un témoignage éloquent de l’édifice qu’est la civilisation chinoise. Les premières sections de la Grande Muraille furent construites par les anciens Chinois pour maintenir les envahisseurs à distance. Après la période des Royaumes combattants (475-221 avant notre ère), le premier empereur de Chine, Qinshihuang, élimina six royaumes et établit la dynastie Qin (221-206 avant notre ère). Il ordonna la consolidation et l’extension de la Grande Muraille afin de protéger son territoire contre son ennemi juré, le peuple nomade des Xiongnu au nord.
Au cours des 2 000 années qui suivirent, et jusqu’à la dynastie Ming (1368-1644), ce plan-cadre militaire efficace fut appliqué par tous les souverains des différentes ethnies. Depuis le Liaoning dans le nord-est de la Chine jusqu’aux bandes de terre arides du Xinjiang dans le nord-ouest, depuis le Henan dans la Chine centrale jusqu’aux frontières du pays et de la Mongolie au nord, les invraisemblables fortifications parcoururent d’abruptes montagnes, de vastes prairies et de lointains déserts. En 1987, la Grande Muraille a été inscrite au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Plus récemment, une étude de ses différentes sections dans tout le pays a révélé que sa longueur totale de 21 196,18 kilomètres dépassait la distance entre les deux pôles de la planète. Parmi les 15 régions administratives au niveau des provinces que traverse la Grande Muraille, la région autonome de la Mongolie intérieure revendique les fortifications les plus importantes, ajoutant jusqu’à 7 570 km au travers de 80 divisions administratives correspondant à des « bannières » de l’ancien temps et des contés.
La construction du rempart en Mongolie intérieure s’est étirée sur plus de 2 000 ans, commençant pendant la période des Royaumes combattants, se poursuivant au cours des dynasties Qin, Han (206 avant notre ère-220 de notre ère), Liao (916-1125) et Jin (1125-1234), pour se terminer avec la dynastie Ming. Compte tenu de cette longue durée, la Grande Muraille dans la région autonome est divisée en 12 classes. La partie la plus connue a été construite sous la dynastie Ming. À partir de la province du Hebei, elle pénètre dans le conté de Xinghe en Mongolie intérieure et serpente vers l’ouest sur plus de 860 km en traversant les villes de Ulaanqab, Hohhot, Ordos et Wuhai, ainsi que la subdivision administrative de la ligue d’Alxa. La plus ancienne section de la Grande Muraille dans la région a été construite au 4ème siècle de notre ère par le roi du royaume de Zhao. « La Grande Muraille de Zhao était une installation militaire destinée à défendre ce royaume agricole contre les puissances nomades du nord », explique Zhang Wenping, directeur adjoint du musée de la Mongolie intérieure. Les dynasties agraires et les puissances nomades ont ainsi coexisté pendant plus de 2 000 ans, souligne M. Zhang. Et de préciser que « les souverains des Plaines de la Chine centrale ont construit la Grande Muraille le long des montagnes du Yanshan et du Yinshan. Ces dernières se situent dans la partie centrale de la Mongolie intérieure (reliant les montagnes du Grand Hinggan à l’est et celles du Helan à l’ouest), où elles forment une frontière naturelle séparant les civilisations agraire et nomade dans les temps anciens ».
La Grande Muraille a aidé les souverains des Plaines de la Chine centrale à s’assurer d’un environnement relativement paisible, favorable au développement d’une civilisation agricole. « Pendant certaines périodes de l’histoire, lorsque les puissances nomades brisaient la défense de la Grande Muraille et exerçaient leur domination sur les Plaines de la Chine centrale, les populations nomades s’intégraient à la civilisation agricole, plus influente », observe M. Zhang. L’édification du formidable rempart, parfois sur de dangereuses falaises, et le déploiement de garnisons coûtaient beaucoup d’argent et de labeur. Les briques, les pierres et la chaux étaient portées sur les épaules ou acheminées dans des charrettes à bras et sur des rondins roulants le long des crêtes montagneuses. On avait parfois recours à des ânes et des chèvres pour le transport des matières premières. Certaines dynasties employaient d’autres stratégies. C’est ainsi que les souverains Tang (618-907) construisirent trois villes dans la plaine de l’Hetao et y stationnèrent des troupes en guise de défense contre des puissances nomades comparativement plus faibles. Les souverains Qing (1644-1911), notamment l’empereur Kangxi, contrôlaient les puissances mongoliennes à l’aide d’un système de bannières plutôt que d’une extension de la muraille. Au fur et à mesure que les militaires et les roturiers s’aventuraient en terre inconnue pour des raisons de sécurité ou de récoltes, les gens de différentes ethnies échangeaient des marchandises et des traditions. M. Zhang résume : « En d’autres termes, les régions le long de la Grande Muraille devinrent un pot-pourri de cultures et de civilisations ».