Une équipe de restaurateurs œuvre contre le temps à la préservation de la grotte abritant un bouddha monumental.
Présence rassurante, la statue est une singularité apaisante. Telle la délectation ressentie dans le bain du champ visuel du Grand Bouddha de Lushena, une atmosphère de tranquillité et de dignité enveloppe les visiteurs. Depuis 1 350 années, le monument se dresse, de ses 17 mètres de haut, dans la caverne sacrée des grottes de Longmen (ou de la « Porte du Dragon »), site inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO, dans la province du Henan. Pour Liu Jianshe, la fascination exercée par le Bouddha n’est sans doute pas aussi intense que pour les touristes. Au cours des cinquante dernières années, son travail journalier a été de « patrouiller » et scruter, pour en vérifier l’état, son très cher Lushena (nom correspondant à la traduction chinoise du mot sanskrit vairocana qui signifie « source de lumière »), ainsi que d’autres statues bouddhistes dans l’ensemble des grottes de Longmen, l’un des plus grands sites au monde de temples creusés dans la roche calcaire.
La moindre fissure n’échappait pas à son regard acéré. Mais même lui n’a pu enrayer les ravages du temps. Hélas, fait inévitable, la roche perd de sa stabilité et les statues vieillissent. En 1971, M. Liu a suivi son père et rejoint une équipe d’une trentaine de restaurateurs pour travailler à la préservation de la grotte dans laquelle le Grand Bouddha de Lushena est situé. Cette grotte se nomme le temple de Fengxian, un lieu qui se situait devant la statue du bouddha pendant la dynastie Tang (618-907) mais qui n’existe plus.
Un nouveau cycle de restauration majeure visant à consolider la statue a été lancé en décembre dernier. Le travail de la trentaine de restaurateurs se fait sur échafaudage. Mais si l’on dispose aujourd’hui de matériel et d’une technologie bien supérieurs, le ragréage des fissures, travail minutieux suivi de lissage, repose encore sur l’expérience et la qualité artisanales. C’est en 493, année où la capitale de la dynastie Wei du Nord (386-534) a été déplacée de la ville actuelle de Datong, dans la province du Shanxi, à Luoyang, que la tradition royale de sculpter les grottes bouddhistes a été introduite dans cette cité.
Au cours des siècles qui suivirent, des milliers de grottes et de niches ont été sculptées dans la falaise, la période d’activité la plus intense se situant entre la fin du 5ème siècle et le milieu du 8ème. Plus de 100 000 statues bouddhistes sont restées dans les 2 345 cavernes subsistantes, désormais connues sous le nom de grottes de Longmen. « Les sculptures des grottes de Longmen sont une manifestation exceptionnelle de la créativité artistique humaine », selon l’UNESCO. « Les grottes de Longmen illustrent la perfection d’une forme artistique séculaire, qui joua un rôle prépondérant dans l’évolution culturelle de cette région d’Asie ». Le site du temple de Fengxian, où neuf statues géantes de divinités bouddhistes ont été sculptées de manière saisissante, est indubitablement l’icône la plus reconnaissable parmi les différentes grottes. Réalisée durant les années phares de la dynastie Tang, elle a donné à penser que l’apparence faciale de Lushena était basée sur celle de l’impératrice Wu Zetian, et que la grotte représentait une scène de rites royaux majestueux issus des périodes les plus prospères de la Chine antique.
Comme l’UNESCO l’a souligné, « le haut niveau culturel et la sophistication de la Chine de la dynastie Tang sont contenus dans les exceptionnelles sculptures sur pierre ». Les inondations dévastatrices de l’été dernier dans la province du Henan n’ont pas endommagé la merveilleuse caverne. Toutefois, les dégâts invisibles mais troublants causés par l’eau qui suinte constituent pour la roche calcaire un ennemi beaucoup plus dangereux, estime Ma Chaolong, directeur du centre de conservation au sein de l’académie de recherche relative aux grottes de Longmen. Le géo-radar, la numérisation 3D, la thermographie infrarouge et autres méthodes modernes de détection, inimaginables au moment du projet de 1971, sont aujourd’hui adoptés pour esquisser un plan de restauration. Les efforts seront axés sur le traitement des problèmes liés à la pénétration de l’eau de façon à renforcer la cohésion de la roche. Shi Jiazhen, archéologue chevronné et directeur de l’académie de Longmen, explique : « Aujourd’hui, la restauration des grottes n’est pas un simple projet d’ingénierie comme autrefois. Elle réunit une précieuse plateforme de divers programmes universitaires impliquant de nombreux autres instituts et établissements d’enseignement supérieur. Elle aura des avantages durables au-delà de la fin des travaux de rénovation ». Ces derniers doivent se poursuivre jusqu’à la fin juin. En dépit des efforts déployés par les restaurateurs, M. Shi est conscient d’une réalité aussi amère qu’irréversible. « Par nos travaux, nous pouvons seulement ralentir le vieillissement des grottes. Mais la roche continuera de s’éroder, et un jour, elle finira par disparaître ». La numérisation est sans doute une solution pour permettre aux populations futures de se souvenir d’une grandeur qui s’estompe.